Avertissement : toute allusion à une usine à gaz pseudo-pédagogique qui complique la vie des enseignants français pour pas un rond depuis 2 ou 3 ans ne serait absolument pas fortuite.
Vous l'avez désormais compris, je suis prof. Qui dit prof dit collègues profs, et que vous soyez du métier ou pas, vous savez bien que des profs, y en a de tous : des intelligents et des imbéciles, des souples et des intransigeants, des sympas et des cons... (Moi, je suis évidemment intelligente, souple, et sympa. Et modeste)
En conséquence, les élèves affublent leurs profs de petits noms gentils : y a pas de raison que nous n'en fassions pas de même, de préférence avec les collègues peu sympathiques.
Nous avons donc surnommé une de nos (chères) collègues "Le Socle" (l'allusion, c'est là).
Le Socle est .. massive. Je ne parle pas de son physique, hein, ce serait mesquin (quoique...). Non, c'est un trait de caractère.
Le Socle sait ce qui est bien ou mal, le Socle ne se pose pas de questions, le Socle accomplit servilement promptement toutes les tâches que lui confie l'Administration, le Socle connaît ses élèves mieux que quiconque (quitte à les « condamner » dès le 15 septembre à une réorientation en fin d'année), le Socle est convaincue qu'elle est indispensable, le Socle est le meilleur prof du département (voire plus), le Socle parle trop fort (le Socle est un peu sourde), le Socle parle pointu (oui, chez nous on parle plat, et on ne pardonne leur accent du nord (de la Garonne) qu'aux gens sympas), le Socle traite les personnels non enseignants comme des sous-merdes.
Et le Socle porte des chaussures à ressort hideuses qui sont supposées la faire maigrir mais ça marche jamais. Ceci dit, ça nous fait bien rigoler : c'est déjà ça.
Vous avez compris : j'aime pas le Socle.
Mais parfois, on a pas le choix, faut causer si on veut pas passer pour une sauvage... Retour de cantine, la semaine dernière :
Une collègue anonyme : « Pfou, je me suis engueulée avec ma fille hier... elle a 14 ans, en plein dans l'adolescence explosive... il me tarde que ça lui passe ! »
Moi (un brin sur la défensive) : « Il paraît qu'il faut en passer par là... C'est inclus dans le pack "maman", pas le choix: t'as signé ! »
La collègue anonyme : « Oui, puis elle est pas tout le temps comme ça, hein, en fait j'ai pas trop à me plaindre. »
Moi (intérieurement) : « Ouf... »
Le Socle (trop fort, et pointu ) : « Oh ben dis donc, moi l'mien y commence tôt, hein ! J'ui ai dit à son père : on a encore 2 ans de paix, et après ça va commencer !!! » (il a 5 ans, le morveux)
Nous : « ??? »
Le Socle : « Vous d'vin'rez jamais c'qu'y ma fait !!! La s'maine dernière j'y mets dans sa poche 5 tickets d'cantine, j'y dis d'les donner à la maîtresse en arrivant à l'école (je rappelle que le gosse a 5 ans). Le soir, y zétaient toujours dans sa poche. J'l'engueule, j'y dis d'les donner à la maîtresse le lendemain. Ben vous savez c'qu'y m'répond??? "Pas question!!!" (sachant que la réponse favorite du Socle à tout type de question d'élève est «PAS QUESTION! »). Moi j'vous dis : dans 2 ans, il nous fait la crise d'ado. Ah ch'te juuure!!! »
Nous : « ... »
Le Socle (encore plus fort) : « Moi j'te l'dis Cami, prends ton temps avant de faire des gosses, hein, réfléchis bien avant ! »
Je marchais devant elle, je lui tournais le dos : heureusement.
J'ai hésité sur la réponse : « Si tu savais... t'oserais pas ! », ou « T'as pas de cerveau ??? tu sais bien que MonHomme et moi on est ensemble depuis 9 ans, tu t'es jamais posé de questions? », ou « C'est toi qui aurais du réfléchir », ou « Avec la mère qu'il a, le tien s'en sort pas si mal », ou « T'inquiète pas pour mes gosses ils ressembleront pas au tien », ou encore le classique mais indémodable « Ta gueule connasse! » .
Je dois être un peu lâche, j'ai rien dit.
Mais désormais je m'applique à bien faire courir son surnom dans le collège. Et si un élève pouvait l'entendre...