Hier matin, ma voiture a fait bip biiiiiiiiiip : pas assez de liquide de refroidissement, MonHomme est loin, je dois me débrouiller. Bon : aller au supermarché et acheter un bidon, je peux ; viser le trou adéquat, je peux aussi.

11h30, sortie de cours : intrépide mais pas téméraire, je réagis au quart de tour quand je croise un collègue dans le parking : "Dis, tu me montres où c'est le réservoir pour le liquide de refroidissement ?".

C'est un collègue avec qui j'ai des relations assez distantes, on se voit peu et on s'entend moyennement mais on fait des efforts pour cohabiter au mieux. Depuis quelques temps j'ai remarqué qu'il était très fermé, d'abord ça m'a agacée puis un peu inquiétée.

Très gentiment, il me propose de me convoyer jusqu'au supermarché du coin pour acheter mon bidon.

La semaine dernière j'ai aperçu sa femme, je lui ai trouvé une sale tête. J'en profite donc pour lui demander des nouvelles.

Elle a un cancer du sein. Ils se battent depuis septembre. Il ne l'a dit à personne au collège.

La tumeur n'est pas opérable, elle a fait 6 chimios. Elle n'a pas le moral, ça le désespère, il ne sait pas comment l'aider. Ils ont deux enfants, 16 et 18 ans : avec eux ils donnent le change...

Elle a mal au dos, elle est certaine qu'elle a des métastases. Elle pense qu'elle va mourir.

Elle finit sa dernière chimio des jours-ci, dans 2 semaines on lui fera une analyse pour savoir si le cancer a métastasé. Pour savoir si elle pourra (peut-être) s'en sortir, ou non. Si elle va mourir ou pas.

Je me suis dit que je devais me souvenir de ça, lui demander des nouvelles le moment venu. Montrer que je ne suis pas indifférente, qu'il a bien fait de m'en parler.

Je me suis dit que j'allais oublier, comment me souvenir de la date ??

Puis j'ai pensé que moi aussi, dans 15 jours,  j'attendrai le résultat d'une analyse. Que notre résultat du TEC tombera en même temps que leur verdict.

Ça m'a comme qui dirait remis les pendules à l'heure.

Ma réflexion du week-end : Je ne suis pas OPK.

 J'ai des ovaires polykystiques.

Je passe mon temps à répéter à mes élèves qu'une définition se donne avec le verbe être, alors qu'une caractéristique se donne avec le verbe avoir.

Enfant, j'ai beaucoup entendu (essentiellement de la part de ma grand-mère, très importante pour moi) : "Oh, Cami elle est ..."  À compléter, au choix, par : gentille, dynamique, toujours contente, trop vite prête, pas rigoureuse (alors que frère-de-Cami, lui est très rigoureux (mais triste)), toujours souriante, solide, serviable...

Essentiellement du positif, vous le constatez.

Ça a l'air super comme ça (pleine de qualités, cette petite !) mais ça a aussi des effets pervers. Je me suis rendue compte après coup que j'étais entrée dans ces définitions et ne savais pas en sortir.

Par exemple, "elle est toujours contente" : puisque c'était ce qu'on attendait de moi, je n'allais tout de même pas aller contre mes qualités !! Donc, même quand ça n'allait pas, je n'en parlais à personne et continuais à sourire... même à moi-même, je l'avouais tout juste ! Je gardais toutes mes angoisses, mes petits et grands soucis de fillette, puis d'ado.

Oui, quoi, dans ma famille c'est pas Cami qui a des problèmes c'est son frère, c'est bien connu !!!

Je ne vous raconte pas la révolution à la maison, le jour où j'ai commencé à dire quand je n'étais pas au top... Ils ont vraiment flippé, genre "si elle en parle c'est que ça doit être vachement grave !!". Maintenant c'est acquis, ils ont intégré que je suis juste normale. Mais ça a pris du temps...

Je suis en train d'essayer de convaincre mon frère qu'il n'est pas limité au " Le pauvre!! " qui lui tombe dessus dès que sa vie n'est pas absolument parfaite.

Bref, je suis très sensible aux injonctions cachées dans le " Tu es ... ", à ces définitions qui enferment.

Je suis convaincue qu'on n'a pas le droit de définir une personne "de l'extérieur".

Je ne dis plus jamais " Tu es ..." (sauf pour "tu es en retard", circonstanciel et incontestable), et je surveille mes "Je suis... "

Alors : Je ne suis pas OPK.   J'AI des ovaires polykystiques.

L'OPK ne me définit pas. L'infertilité ne me définira pas : JE REFUSE.

J'ai des Ovaires Poly-Kystiques, ça fait partie de mes nombreuses caractéristiques.

Avec, entre-autres :

- j'ai un caractère affirmé

- j'ai des mollets musclés indépendament de toute activité sportive

- j'ai horreur d'être définie en un mot

- j'ai une jolie voix (oui, on m'a dit ça ce week-end, "on" étant un professionnel du chant !!!)

- j'ai de petites mains (comme tout le reste d'ailleurs chez moi)

- j'ai quelques kilos en trop

- j'ai envie de les assumer...

- j'ai des cheveux épais et indisciplinés (genre... Pimprenelle, vous voyez ?)

- j'ai les trois orteils du milieu solidaires, aux deux pieds

- j'ai plein de grains de beauté (mais alors vraiment plein plein plein, un jour je vous raconterai)

- j'ai un joli sourire, paraît-il

Ah, et j'oubliais : j'ai passé  un excellent week-end, en stage de chant avec Copine, et d'autres copines. Chant et danse trad, comme j'aime.

J'ai la nuque détendue à souhait.

C'est fou comme je me sens libérée après avoir envoyé ces deux mails !

D'abord hier soir, j'ai très très bien dormi. Mais très tard, parce que, même si je me suis couchée plutôt tôt compte tenu de mon rythme naturel (dormir de 1h à 11h environ), je ne me suis pas endormie. Pour une raison indéterminée, MonHomme était en grande forme et m'a tenue réveillée... non, il ne s'agit pas de sexe, petite coquine !

Il m'a chanté des chansons, en commençant par "La mère Michel" (oui, celle qui a perdu son chat, etcaetera). Je lui ai demandé une berceuse, il m'a donc chanté la mère Michel en berceuse... Juy ai dit qu'il aurait intérêt à faire mieux avec notre tout petit, alors il a enchaîné sur je ne sais plus quoi, mais c'était plutôt martial !

On a fini par "Bouba, Bouba, mon petit ourson...", en passant par "le Manège Enchanté", Aglaé et Sidonie, Chapi Chapo...

Non, en vrai il a fini en faisant "la ligne" : vous vous souvenez de la ligne ?

Je sais pas trop si c'était une bonne idée d'annoncer l'article à l'avance, parce que du coup j'ai un peu la pression : obligée de pondre un truc qui tient la route !! Mais bon, je me lance...

Ça se passe pendant un cours de maths ordinaire, on parle des puissances.

Moi : " Ouvrez vos livres page 48, activité 4 : à vous de jouer ! "

Curieux : " Madââââme, à l'activité 1 il y a des triangles avec des triangles à l'intérieur. C'est des fractions ?? "

 Moi : " ?... "

Glandu : " AH NON, pas des fractions !! Les puissances j'avais compris : va pas me parler de fractions ça va m'embrouiller !!! "

Moi : " ??... "

Pas-doué-mais-sérieux : " Des fractions ??? Quel rapport avec les triangles ? Madââme, elles sont où les fractions à l'activité 1 ? "

Moi : " ?!!... Euh, si on parlait de l'activité 4 ? Siouplaît ? Les puissances de 10 ?  "

Doué-mais-pas-sérieux : " Nooon, mais il voulait pas dire des fractions... Il voulait dire le genre de truc que Lucas avait affiché l'an dernier, l'énooooorme flocon de neige, vous vous souvenez ?" (oui, le Lucas de  "Bruits d'escaliers" )

  NB : le fameux dessin de Lucas ça ressemblait à ça :

  Curieux : " Ouééééé, c'est ça... mais ça s'appelle pas des fractions, en fait ! ...? "

Moi, enfin branchée sur la bonne longueur d'ondes : "Ah, oui, vous voulez dire une fractale!! Ben oui, à l'activité 1 c'est une fractale, en effet."

Glandu : "Madame, une fractale c'est un genre de fraction?... parce que moi, j'aime pas les fractions!!"

Moi : "Non, Glandu, rien à voir (ou presque). Une fractale c'est un dessin sur lequel on reproduit la même opération à l'infini. Par exemple, dans un triangle tu fais apparaître 4 triangles. Puis dans chaque triangle obtenu tu en fais apparaître encore 4, et ainsi de suite à l'infini. Celui-là s'appelle "triangle de Sierpinski" "

Glandu : " ?... "

Pas-doué-mais-sérieux : " C'est au programme ? "

Doué-mais-pas-sérieux :  " C'est joli ! "

Curieux : " À quoi ça sert ? "

Moi (ravie d'exposer ma culture mathématique) : " Ben vous voyez, celui qui a "inventé" les fractales, il s'appelait Benoît Mandelbröt. Il a passé toute sa vie à construire la théorie des fractales. Toute la communauté scientifique se moquait de lui en disant qu'il avait créé un monstre mathématique, une théorie complexe et sans le moindre intérêt. On a découvert récemment que les tumeurs cancéreuses se développent selon un modèle fractal, et la théorie des fractales a permis de mieux comprendre ces maladies et mieux les soigner."

Curieux : " Bah ??? "

Moi : "Oui, c'est souvent comme ça la recherche mathématique : on essaie de chercher dans une direction, on a un objectif précis. Et puis on arrive à trouver un truc qui ne répond pas du tout à la question posée, mais qui ouvre tout un tas de possibilités, et qui résout des problèmes auxquels on n'avait absolument pas pensé au départ ! Enfin , ce n'est pas spécifique à la recherche mathématique, hein, c'est vrai pour la recherche scientifique en général. "

C'est là que je me suis retenue d'ajouter que c'est vrai pour la vie en général, aussi. On consacre toute son énergie à la réalisation d'un objectif précis, à une recherche parfaitement ciblée. Parfois on y arrive, parfois non. Mais en route, on a trouvé d'autres choses, vachement intéressantes !

Et inévitablement, je me suis demandé quel serait l'aboutissement de notre combat pour avoir un bébé... Nous apportera-t-il un enfant ? Sinon, quoi d'autre ?

C'est là que j'ai pensé à vous, copinautes...

Je crois que j'ai eu un moment d'absence en réfléchissant à tout ça, je me suis ressaisie en precevant l'air interrogateur de mes élèves qui se demandaient visiblement où j'étais partie.

Alors, on a (re)commencé à parler des puissances de 10.

N'empêche, c'est vachement joli les fractales. (et encore j'ai pas trouvé celle que je cherchais!)

(Ça fait classe comme titre, non ?)

Mon article veut parler de la "culpabilité" que je lis sur des blogs amis au moment d'annoncer des débuts de grossesse.

C'est un peu difficile de dire tout ça clairement, parce que, bien sûr, les essayeuses lisent toujours ces articles-là avec des sentiments ambigüs, mais quand même : cette culpabilité me met très mal à l'aise.

L'infertilité nous abîme. Elle nous vole nos illusions, nous qui pensions naïvement qu'on fabriquerait nos petits dans notre lit, "comme tout le monde".

Elle nous vole notre sérénité, une bonne partie de notre intimité.

Elle va parfois jusqu'à nous voler nos sourires, l'éclat de nos yeux.

Elle met nos couples à l'épreuve.

Elle nous submerge de larmes.

Elle nous fait nous sentir à contre-temps n'importe où, n'importe quand, sans préavis.

Elle nous fait nous sentir coupables d'être différents, incapables d'être "une vraie femme", "un vrai homme", coupables de ne pas pouvoir donner un enfant à notre homme, un petit-enfant à nos parents, une maman à notre enfant.

Et puis un jour deux barres apparaissent, une prise de sang dit miraculeusement autre chose que " < 2 " !!!

Et ce jour-là on se sent encore coupable ???

Bien sûr je comprends ce sentiment, parce que, comme nous toutes, j'ai lu ces articles et parfois pleuré en les lisant. Parfois j'ai été un peu (beaucoup?) jalouse. Et puis je me le suis reproché, parce que c'est ridicule, parce que les grossesses des copinautes ne me privent de rien, au contraire : elles donnent de l'espoir.

Oui bien sûr ça me rappelle que moi, j'attends toujours, me répondrez-vous. C'est vrai, mais ai-je vraiment besoin de ça pour ne pas l'oublier??

Je comprends, oui, les scrupules des filles qui annoncent un plus, avec des pincettes, qui ont peur de blesser. Mais leur culpabilité m'attriste...

L'infertilité nous volerait donc même la joie immense d'un test positif??

Je ne veux pas me sentir coupable le jour où j'annoncerai ma grossesse sur mon blog.

Ce jour-là je veux briller, je veux exploser de joie et de trouille.

Je veux pleurer sans savoir pourquoi : sans savoir, justement, si c'est de joie ou de trouille.

Je veux dire à toutes les copinautes : "Accrochez-vous les filles, c'est si fort quand on y arrive!"

Je veux que mon article déborde de " AAAAAAAAAHHHHHHHH!!! " et de

" OOOOOOOOOHHHHHH!!! " et de " JE SUIS HEUREEEEEEEEUUUUUUUSE!!!!" avec des points d'exclamations partout, sans la moindre retenue.

Je veux que ce jour-là mon bonheur vous éclabousse toutes. Mais en gentilles éclaboussures, hein, de celles qui éclairent un petit bout de votre journée.

Etre heureuse ne signifie pas oublier les autres, nous le savons toutes.

Alors, heureuses plusseuses, explosez, criez votre bonheur, chantez, pleurez, dites vos joies et vos angoisses.

Et si vous choisissez d'être encore là pour nous, votre lumière nous éclairera comme un phare dans la tempête (même en tant que montagnarde depuis environ 15 générations, l'image me parle : c'est dire si elle forte!).

On se réchauffera un peu à votre feu avant de repartir vers nos frimas : ça fait du bien.

Et on viendra vous rejoindre très vite.

(QUOI ??? QUI a dit "promesse de Gascon" ??? )   (à bas le pessimisme!!)

Et puis juste, pour remettre les choses à leur place :

" Le bonheur d'un ami nous enchante.

Il nous ajoute. Il ne nous ôte rien. "

                                 Jean Cocteau